Jeudi 14 décembre 2023. Dans l’après-midi, contre toute attente, des camionneurs haïtiens, membres de plusieurs syndicats de transport de marchandises entre la République Dominicaine et Haïti, défoncent avec fracas le portail délimitant la frontière entre les deux pays et garantissant la sécurité sur le pont de Ouanaminthe, limitrophe à Dajabón (RD).
« Ils ont piétiné notre dignité en agissant ainsi. Ce ne sont pas des Haïtiens mais des espions de la République Dominicaine », ont scandé avec indignation des gens qui assistaient à la scène. « En jetant la barrière à la rivière Massacre, c’est la dignité de tous les Haïtiens qu’ils ont arrachée », ont-ils déploré.
En effet, quelques semaines avant l’événement, des rumeurs circulaient à travers la ville sur une éventuelle réouverture, de gré ou de force, de la frontière, fermée à l’époque par une frange de la population ouanaminthaise pour plusieurs raisons, notamment par solidarité avec les initiateurs de la construction du canal sur la rivière Massacre et pour engager un bras de fer avec le président dominicain, Luis Abinader, qui menaçait de représailles, dont la fermeture des frontières terrestres et de l’espace aérien dominicain aux vols en provenance d’Haïti, si les travaux ne s’arrêtaient pas.
Mais malgré ces informations connues pratiquement de tous dans la cité de Joseph Davilmar Théodore, les autorités, en particulier l’unité spécialisée Polifront (Police frontalière) chargée de sécuriser la frontière, n’ont pris aucune mesure pour empêcher cet incident regrettable. Pire encore, les policiers sur place ce jour-là n’ont même pas réagi.
Ainsi, des policiers, des agents douaniers, des syndicalistes et d’autres personnalités ont été accusés d’avoir reçu des pots-de-vin des Dominicains pour faciliter la réouverture de la frontière, même de force. Et depuis, soit pendant 17 mois, la frontière Ouanaminthe-Dajabón, demeurait sans barrière. Une situation qui favorisait toutes sortes de trafics, au moment où le pays fait face à la situation sécuritaire, économique et politique la plus grave de son histoire.
Après l’incident, le commissaire du gouvernement près du Tribunal de première instance de Fort-Liberté, Me Eno Zéphirin, se disant indigné et préoccupé par la situation, avait délivré plus d’une dizaine de mandats contre des présumés auteurs et complices du défoncement de la barrière. Mais une seule arrestation a eu lieu. Depuis, aucune nouvelle. Un nouveau dossier classé et mis au tiroir ?
Pendant près d’un an et demi, les autorités locales et nationales ont fait la sourde oreille aux nombreux cris d’alarme des citoyens, des organisations de la société civile… réclamant de remettre la barrière en place. Rappelons cependant que deux camps s’affrontaient : ceux pour la fermeture pure et simple de la frontière et ceux, notamment des commerçants et des camionneurs soutenus par les syndicats, qui tramaient pour le statu quo à la frontière.
Ayant pris position, à l’époque, aux côtés des pro fermeture partielle ou totale de la frontière entre la République Dominicaine et Haïti, l’activiste politique Dionel Germain, nommé depuis trois mois délégué départemental du Nord’Est, a profité de sa position au sein l’Administration publique pour remettre une nouvelle barrière.
« Avec d’autres représentants du gouvernement dans le département, j’ai demandé formellement au pouvoir central de faciliter cette démarche. Ce qui a été vite fait en mettant à notre disposition la [modique] somme de 650,000 gourdes pour effectuer les travaux », a expliqué fièrement Dionel Germain à la presse locale, lors de l’installation du portail, le dimanche 18 mai.
« Des instructions formelles, a-t-il ajouté, sont passées aux cadres des bureaux de l’Immigration, de la Douane et de la Police de sévir sévèrement contre tous ceux qui seront tentés de répéter le même scénario que celui du 14 décembre 2023. Par la réinstallation de la barrière, nous voulons rendre à la communauté ouanaminthaise en particulier et en général au peuple haïtien sa dignité. »
La réinstallation de la barrière s’est faite dans un contexte où les autorités dominicaines rapatrient en masse des migrants haïtiens à la frontière Dajabón-Ouanaminthe, dans des conditions inhumaines, sous le regard impassible des autorités locales et des représentants du gouvernement.
« La dignité des Ouanaminthais et des Haïtiens est rétablie », mais jusqu’à quand ?
Photo : Léonel Séjour / Essentiel FM 89.9